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Joel Swendsen : « Avec cette multitude d’applications mobiles, c’est le Far West ! »

Le Jeudi 17 Mars 2022 à 17:22       |       Partager    

Spécialiste des technologies mobiles dans la recherche et la prise en charge des troubles mentaux, Joel Swendsen participera au colloque autisme de Saint-Brieuc, les 29 et 30 mars, à Saint-Brieuc. L’un des chercheurs les plus cités au monde en 2021 met en garde les utilisateurs face à la prolifération incontrôlée d’applications de santé mentale sans preuve d’efficacité. Explications.

Dans la liste des chercheurs les plus cités au monde en 2021, on retrouve le nom de Joel Swendsen. Comment ce classement est-il établi ?

Le but d’un scientifique, c’est de partager et de diffuser ses connaissances qui ne sont pas faites pour rester dans un tiroir. Nos travaux doivent être publiés et critiqués par nos pairs pour faire avancer les choses. Les articles publiés dans des revues nationales ou internationales sont ainsi jugés et appréciés au sein de la communauté scientifique. Ils peuvent être cités à leur tour par d’autres chercheurs dans de nouvelles publications. Et ce sont précisément ces citations qui sont prises en compte pour établir la liste des scientifiques les plus cités au monde.

Quelle a été votre réaction lors de la publication des résultats ?

Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai fait des sauts en arrière et j'ai fêté ça pendant 24 heures avant de revenir au travail (rires). Plus sérieusement, j’ai été agréablement surpris car je ne m’y attendais pas. Je ne pensais vraiment pas que mon nom figurerait dans le top des scientifiques les plus cités au monde. C’est cool et très valorisant pour moi en tant que chercheur. Mes sauts en arrière sont désormais terminés et j’ai pu retourner au travail malgré quelques douleurs musculaires...

Au colloque autisme de Saint-Brieuc, vous interviendrez sur les bénéfices et les risques des troubles mentaux à travers l’utilisation et le développement des technologies mobiles, un domaine dans lequel vous êtes devenu un pionnier…

Depuis plusieurs années, je m’intéresse à la question de la comorbidité et à une grande diversité de troubles comme les troubles du neurodéveloppement et l’autisme mais aussi ceux liés à la schizophrénie et aux addictions. Mes recherches portent sur la compréhension des facteurs de risque et les causes des troubles mentaux à travers l’utilisation des technologies mobiles. De nombreuses applications, programmes et logiciels développés avec les nouvelles technologies sont aujourd’hui disponibles à la personne à partir d’un ordinateur fixe ou d’un appareil mobile comme le smartphone et la tablette. Je m’intéresse à toutes ces technologies mobiles qui permettent aux chercheurs d’accéder à la vie quotidienne des personnes affectées par des difficultés psychologiques ou des troubles mentaux.

Ces technologies mobiles sont-elles récentes ?

Certains appareils datent d’il y a une quinzaine d’années. Globalement, on constate une explosion du nombre d’applications mobiles. Dans le domaine de la santé en général, on en compte plus de 300 000 dont 10 000 dédiées aux différents troubles mentaux. Ces 10 000 applications sont disponibles sur Apple store et Google Play notamment. Moins d’un tiers d’entre elles ont été développées par des experts de la santé mentale, des psychologues ou encore des psychiatres. Ce sont des personnes bienveillantes mais elles n’ont pas une expertise particulière dans le domaine de la santé mentale.

Cela pose question, en effet…

Sachant que 4% des applications sont fondées sur les preuves d’efficacité, cela veut dire que 96% de ces apps sont mises sur le marché, à la disposition de la communauté, sans savoir si elles apportent une aide à la personne. Les personnes atteintes de troubles mentaux peuvent penser qu’elles téléchargent des outils thérapeutiques sûrs et valides alors que ce n’est pas le cas.

Les technologies mobiles ont révolutionné la recherche dans le domaine de la santé mentale mais concernant la prise en charge, c’est la cacophonie, c’est le Far West ! Imaginons que vous ayez un problème quel qu’il soit et pour lequel vous avez besoin d’aide, comment faites-vous pour vous y retrouver parmi toutes ces applications ? Comment un utilisateur va trouver la bonne application ? Il se sent perdu… Pour lui, la solution est aujourd’hui de trouver l’application grâce au label de dispositif médical mais c’est très complexe...

Joel Swendsen est psychologue clinicien et directeur de recherche au CNRS de Bordeaux. © Photos Bordeaux Neurocampus.

Alors que faire ?

Le génie est sorti de la bouteille et aujourd’hui, on ne peut plus le remettre à l’intérieur de la bouteille. En revanche, il est possible de reprendre le contrôle et d’aider les gens à trouver la bonne application. Il faut pour cela informer les cliniciens des applications disponibles fondées sur les preuves et développées par les experts du domaine. Il existe aussi des sites web crédibles émanant de différentes associations dont certaines ont répertorié et classé les applications selon leur efficacité et leur utilité. Cependant, il y a d’autres risques pour lesquels nous n’avons pas de réponse.

De quels risques parlez-vous ?

Le simple fait de télécharger une application pour un problème de santé mentale pouvait donner l’impression à la personne qu’elle est prise en charge et qu’elle n’a pas besoin de consulter un spécialiste. De plus, la crise sanitaire n’a pas arrangé les choses. En deux ans, notre société a profondément évolué vers le distanciel et les nouvelles technologies. Jamais dans l’histoire de l’humanité, nous avons été si dépendants d’internet et de la communication à distance. Malgré les bénéfices des applications, les dépendances s’accentuent.

Etes-vous optimiste pour l’avenir ?

Oui je le suis. Il faut juste prendre le taureau par les cornes et relever les défis actuels qui ne sont pas insurmontables. On peut trouver des solutions. Il faut clairement discuter des problèmes et des promesses. L’autre jour, j’ai téléchargé des applications pour aider les gens qui font des tentatives de suicide. Si on lit les conditions d’utilisation, ce qu’on fait rarement en réalité, elles disent très clairement que l’application ne fournit pas les informations sur lesquelles vous « devez compter ». Elle se dédouane de toute responsabilité légale.

En revanche, on peut compter sur la communauté des associations, celle des patients, de leurs familles et de leur entourage. Ces associations ont fait des progrès considérables dans le domaine de l’autisme et de la santé mentale. Elles ont construit une plateforme d’informations bienveillante et sérieuse pour venir en aide aux personnes dans ce domaine. On peut fier de leur travail. Lors du colloque autisme de Saint-Brieuc, je citerai quelques associations qui ont trié et classé des applications qui, demain, feront partie de l’accompagnement et de la prise en charge des personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme.

(1) Joel Swendsen a reçu le prix Marcel Dassault « Chercheur de l’année » 2014 de la Fondation Fondamental et le Grand Prix Halphen de l’Académie des sciences en 2019.

Consultez le programme du colloque 2022 et inscrivez-vous !